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foule qui se ruait sur eux, et semblait dévorer des yeux la viande crue ! Quels cris déchirants se faisaient entendre de toutes parts ! Le chagrin assombrissait la vie et les exécrables inventeurs de la famine : cependant on voyait les gendarmes faisant courir au galop leurs chevaux entre les étals qui n’ont point trois pieds de large ; ils culbutaient le monde, multipliaient les accidents sous prétexte de les prévenir, et favorisaient par une astucieuse tactique les plus honteux trafics. Des scélérats aux appointements de la Commune, faisaient ranger les femmes à la file, mais tandis qu’elles attendaient leur tour en grelottant de froid, des porte-faix formant de leurs larges épaules un rempart impénétrable devant les boutiques, enlevaient les bœufs entiers, et, quand le partage du lion était fait, les femmes rangées deux à deux n’avaient point avancé d’un pas, et se retiraient par centaines les mains vides.

D’un autre côté l’on se jetait sur le poisson qui se vendait à l’enchère aux marchandes ambulantes. Ce poisson était corrompu ; la disette du beurre en avait suspendu le débit ; la famine lui redonnant de la valeur, il causa de grandes maladies.

Au quai de la vallée, on vendait l’agneau quinze francs la livre ; la vente s’en continua longtemps avec une scandaleuse profusion. Les paysans circulaient alors dans les rues avec des paniers de volailles au bras. Les Parisiens achetaient à l’envi les poules et les poulets que, faute de grains mis en réquisition, il n’était plus possible d’élever dans les campagnes. Cette abondance factice d’une denrée qui ne fut jamais que le partage de la richesse, dura peu, et fit place uniquement aux herbages. Ce que l’on appelle légumes secs, tels que riz, lentilles, haricots, était amoncelé dans les magasins militaires, et on regardait comme une félicité, la découverte d’un litron de cette denrée que plus d’un ménage se vit réduit à manger à l’eau pure.

À cette désolante pénurie de subsistances se joignait la difficulté plus désolante encore d’avoir du pain. Dès deux heures du matin, les femmes se rangeaient deux à