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tant qu’il le put le luxe de sa table : le pauvre se ruina pour cacher sa misère ; et tandis qu’il avait consumé par orgueil tout le produit de sa semaine, son modeste repas l’avait fait rougir auprès de celui qui croyait s’être bien sans-culottisé. La jalousie d’un côté, les orgies de l’autre, changèrent en bacchanales ces soupers prétendus fraternels ; le mécontentement était général ; et ceux qui les avaient commandés, dénoncèrent comme agents de Pitt et de Cobourg tous les peureux qui leur avaient obéi[1].


GRANDE DISETTE



C’est pendant l’hiver de 1794 que la disette de la viande s’est fait sentir à Paris. On vit affluer à la fois et en même temps dans les boutiques des bouchers, les femmes de ménage, les cuisinières, les domestiques, etc. La livre de bœuf s’éleva tout à coup depuis dix-huit sols jusqu’à vingt-cinq sols. Les citoyens murmuraient et ne songeaient pas encore que la consommation de cette denrée par une armée de douze cent mile hommes, jointe à l’extrême rareté des fourrages et à la guerre de la Vendée, occasionnait ce surhaussement de prix. Depuis lors, les envois de bestiaux à Paris diminuèrent insensiblement. Les manœuvres de la malveillance en augmentèrent aussi la pénurie. À cette époque, la Commune sanguinaire fit placarder presque à chaque porte de maison cet arrêté trop mémorable qui réduisait chaque bouche à une livre de viande par décade ; et les membres des comités révolutionnaires furent autant de docteurs Sangrado, qui modérèrent impitoyablement tous les appétits. Combien de

  1. Ces soupers eurent lieu jusqu’en messidor an II, puis furent interdits.