Page:Mercier - Le Nouveau Paris, 1900.djvu/104

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Des époux inséparables pendant leur vie, semblaient l’être pendant leur trépas. Leurs reliques furent dispersées. Des épitaphes, conservatrices du souvenir des actions d’éclat de nos plus fameux guerriers et de tant de personnages illustres, furent enlevées, parce qu’elles se trouvaient dans un temple, et jetées avec les débris des autels dans un dépôt comme des moellons informes dans une carrière.

Les menuisiers, les serruriers, les orfèvres, les courtiers, les revendeuses à la toilette même, vinrent mettre à l’enchère tous les objets séquestrés, sortis des églises ou des armoires des sacristies ; et l’on vit dans les boutiques de tripiers des chasubles qui pendaient à côté de pantalons ; des marchands de meubles exposaient en vente des crucifix parmi des seringues, et des devants d’autels à côté de chaises percées.

Quelques jours avant le préliminaire de ce richissime inventaire, l’on avait vu les prêtres, en habit séculier, célébrer la messe avec des calices de verre, ou des coquetiers d’étain.

On a brisé, on a vendu les grilles resplendissantes d’or de la métropole, la belle boiserie du chœur des Chartreux ; le magnifique baldaquin du maître-autel de l’église des Invalides fut renversé dans la poussière.

Que de châsses, jadis étincelantes du feu des rubis, ont disparu, brisées, morcelées, et l’on devine par qui : toutes ces pierres précieuses circulent dans les mains du négociant étranger.

On a vu briller aux doigts de ces présidents de comités révolutionnaires, les émeraudes qui décoraient les soleils ; tel d’entre eux s’est fait tailler des culottes de velours à pleines chapes ; et plusieurs ont, pour la première fois, porté des chemises faites avec les aubes des enfants de chœur.

Toute l’argenterie des églises des quatre-vingt-trois départements, celle de la Belgique est venue s’engouffrer dans les creusets de la Monnaie ; et nous avons effectivement mangé Dieu et les saints d’argent, en blé, car il fallait payer le blé en argent.