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Nogolka conduisit Pélasge en haut, sur la galerie de devant, le plus loin possible de Saint-Ybars. Elle s’abrita avec lui derrière une colonne ; ses longs cheveux blancs tachés de sang, étaient soulevés par le vent et s’éparpillaient dans l’air comme l’écume du flot qui se brise contre un rocher. Dans la crainte que Pélasge ne lui échappât, elle le tenait encore par le cou et la main.

Dans tout ce fracas physique et moral, au milieu même de la combinaison de la colère de Saint-Ybars avec la fureur de l’ouragan, Nogolka avait eu un instant de bonheur ; elle avait protégé celui qu’elle aimait, elle l’avait serré contre sa poitrine, sa figure avait touché la sienne, elle avait mêlé son souffle avec le sien. ― O cœur humain, que d’étranges secrets dans tes abîmes ! ― Nogolka avait senti, pour la première fois, ce que quelques secondes fugitives peuvent apporter d’émotion profonde, de ravissement délicieux à une âme pure et aimante comme la sienne. Elle ne s’était pas aperçue du coup de baleine de Saint-Ybars ; elle ne savait pas qu’elle était blessée, que son sang avait coulé ; elle était heureuse ; elle ne se demandait pas encore si l’altercation entre Pélasge et Saint-Ybars n’aurait pas de suites ; non, elle n’y pensait pas, elle regardait l’ouragan, elle souriait.

Le vent, soufflant d’abord en ligne droite, avait couché presque toutes les barrières. Ensuite, il s’était mis à tourbillonner. Le feuillage des chênes de l’avenue s’agitait dans tous les sens, comme une crinière de lion furieux ; il en sortait un mugissement entrecoupé de craquements ; d’énormes branches tombaient, arrachant et entraînant d’autres branches. L’avenue était jonchée de débris, comme si l’on avait fait un abattis pour barrer le passage.

Toute la nuit le fleuve avait charrié des arbres arrachés à ses rives. Dès le petit jour, l’économe avait détaché vingt-cinq hommes pour saisir ce bois au passage. Ils étaient occupés à ce travail, quand les approches de l’ouragan les forcèrent à se mettre à l’abri, sous le hangar du wharf.

Nogolka, tranquillisée, rendit enfin à Pélasge la liberté de ses mouvements. Ils commencèrent à échanger des