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le même effet que l’horloge sur le condamné à qui elle annonce le moment de son exécution. Ses forces l’abandonnèrent ; la honte et le mépris de lui-même l’envahirent : il pensa à ses enfants ; puis, passant brusquement de la stupéfaction au désespoir :

« Puisque vous voulez absolument partir, dit-il, vous partirez ; mais sachez-le bien : cinq minutes après que vous aurez laissé ma maison, une détonation d’arme à feu se fera entendre dans ma chambre ; on accourra, et on trouvera un cadavre sur le plancher. Adieu.

« Ce que vous dites là est abominable, Monsieur, s’écria Nogolka ; c’est la contrainte morale, c’est l’inquisition, c’est barbare, c’est lâche. »

La moitié des paroles de Nogolka n’arrivèrent pas aux oreilles de Saint-Ybars ; il s’était précipité vers la sortie.

Tout redevint silencieux ; les roulements du tonnerre dans le lointain étaient encore si étouffés qu’ils ne troublaient en rien la tranquillité rétablie sous le sachem. Cependant, les éclaires se multipliaient et envahissaient une grande partie du ciel. Nogolka, plongée dans ses pensées, n’entendait pas la foudre, ne voyait pas les éclairs. Elle se mit à parler tout haut, comme si elle se fût adressée à des personnes présentes. « Mes chers parents, dit-elle, lorsqu’après avoir dépensé votre petite fortune, pour compléter mon instruction, vous me disiez : ― Va maintenant dans le monde ; tu as tout ce qu’il faut pour gagner honnêtement ton pain ― vous étiez loin de soupçonner, n’est-ce pas, les dangers et les chagrins au-devant desquels vous m’envoyiez. Vous avez cru faire pour le mieux, cher père, chère mère bien-aimée : je ne vous reproche rien, soyez bénis. »

Après avoir prononcé ces paroles, elle se dirigea vers la porte, sans même penser à arranger ses cheveux. Pélasge la suivit avec précaution ; il ramassa son voile déchiré dans la lutte, et le mit sous son gilet.

Nogolka prit le grand chemin qui traversait les champs de cannes d’un bout à l’autre. Elle rentra par la cour de derrière. Le dogue de garde (il se nommait Cerbère), l’ayant