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vous me réduire, moi sa protectrice, moi sa seconde mère, à me couvrir du masque de l’hypocrisie pour lui parler des vertus qui font honorer son sexe ? Non, de mon regard, de ma voix, de mon contact sortirait un poison qui ternirait son adolescence.

La voix de l’homme. ― « Eh bien ! restez ; votre présence est aussi nécessaire à ma vie que l’air que je respire. Je consens à ne plus vous parler de mon amour ; j’en ferai le serment, mais je veux qu’au moins mon sacrifice ait sa récompense ; je veux signer, dans un baiser, l’arrêt par lequel je me condamne moi-même au désespoir.

La voix de femme. « Non, jamais ! résilions notre contrat, laissez-moi partir. »

Il y eut un moment de silence. La lumière revenait sous le chêne, si l’on peut appeler lumière une lueur dans laquelle les objets sont aperçus comme à travers un voile épais. Les deux personnes que Pélasge entrevoyait vaguement, avaient plutôt l’air de fantômes que d’être humains. Mais il n’avait pas besoin de les voir mieux, pour les reconnaître ; les voix qu’il entendait lui étaient familières, c’étaient celles de Saint-Ybars et de Nogolka.

Saint-Ybars s’avança, Nogolka recula.

« Non, c’est impossible, dit Saint-Ybars d’une voix frémissante, vous ne partirez pas ; ce serait ma mort.

« Je partirai, répondit Nogolka résolument ; j’invoquerai, sil le faut, l’intervention de la loi.

« Alors, reprit Saint-Ybars, ce baiser que je demandais comme récompense, laissez-le-moi comme souvenir, comme consolation pour le peu de temps que j’aurai à vivre.

« Non, Monsieur, répondit Nogolka tremblante ; n’avancez pas ! vous me faites peur et horreur. »

Nogolka ne pouvait plus reculer ; son dos était appliqué au tombeau. Saint-Ybars avançait toujours ; ses yeux flamboyaient, le reste de sa figure avait l’expression sinistre qui précède le crime.

« Eh bien ! femme que j’adore et que je hais, dit-il en grinçant des dents, puisque tu ne veux rien m’accorder, je prendrai tout. »