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prenaient leur repas du matin ; il se composait simplement d’un gombo. Chacun, à son tour, plongeait une cuiller en bois dans la chaudière qui contenait le substantiel potage, la portait à sa bouche, puis la passait à son voisin.

Les femmes, assises à l’écart, attendaient que les hommes eussent fini. Il y avait parmi elles une métisse. Elle avait le teint d’une blancheur légèrement verdâtre, les pommettes saillantes, la mâchoire fortement accusée ; ses yeux et ses cheveux rappelaient, par leur nuance claire, la race européenne. Dévorée par la fièvre, elle toussait presque sans répit ; il était facile de voir qu’elle n’avait pas longtemps à vivre.

Les Indiens virent venir Démon et son compagnon. Ils ne proférèrent pas un mot. Pélasge remarqua la mine ennuyée et hébétée des hommes, l’air doux et triste des femmes. En pensant qu’il avait là, sous ses yeux, les derniers survivants des possesseurs naturels de la contrée, il fut pénétré de commisération. Il n’eut pas le moindre doute sur leur prochaine extinction ; sur les quinze individus dont se composait la tribu il n’y avait qu’un enfant.

« Comment pourvoient-ils à leur subsistance ? demanda-t-il à Démon.

« Les femmes, répondit Démon, vont vendre sur les habitations de la poudre de sassafras pour faire le gombo, des feuilles de plantain pour aromatiser le linge, des racines de latanier pour fourbir, et de petits paniers qu’elles tressent elles-mêmes. Elles ont toute la peine ; les hommes ne font rien, le whiskey les tue.

« Quelles sont ces buttes de terre là-bas, sous ce chêne à moitié mort ? demanda le jeune professeur.

« C’est le cimetière de ces Indiens, » répondit l’élève.

Pélasge compta les sépultures ; il y en avait vingt-cinq.

« Plus de morts que de vivants, » murmura-t-il.

Pélasge s’était arrêté ; il pensait aux races humaines disparues les unes après les autres, et dont on a découvert les ossements dans les différentes couches du sol. Il en dit quelques mots à son élève : Démon l’écouta avec la plus grande avidité.