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Quand lui et Démon ne furent plus qu’à une vingtaine de pas de la négresse, elle s’arrêta ; sa figure exprimait l’inquiétude. Pélasge put distinguer alors les objets qu’elle portait dans ses bras ; c’étaient deux grosses poupées.

« C’est man Sophie, dit Démon ; elle est folle, Monsieur, mais pas méchante. Elle croit que ces poupées sont ses filles ; elle a donné un nom à chacune. »

S’adressant à la négresse et élevant la voix :

« Man Sophie, dit-il, pa peur ; michié là pa lé fé vou di mal. »

La négresse s’approcha avec confiance.

« Faites-la parler un peu, dit Pélasge, pour me donner le temps de la bien voir.

« Oui, Monsieur, répondit Démon, et regardant la folle :

« Man Sophie, demanda-t-il, vou piti filles bien !

« Merci bon dgié, michié Démon, répondit la négresse, jordi yé bien ; mé lote lanouitte yé té empéché moin droumi ; Emma té toucé tou plin, é Caroline té gagnin colic ki té fé li soufri martir.

« Coté vapé couri comme ça, Man Sophie ?

« Mapé couri coté vieu madame é coté vou seurs ; mo besoin zétoffe neuve pou abillé mo piti filles. Fo oucitte mo maitresses donne moin ruban, cofair mo oulé fé Emma é Caroline bel tou plin dimin, sitan bel tou moune a admiré yé. Dimin, vou connin, cé ain gran jou, cé jou niversaire vou nessance é kenne mamzel Chant-d’Oisel ; fo mo fé vou honair, à vou é à vou jumel.

« Anon, bon voyage, man Sophie, bonne santé pou vou é vou piti.

« Merci, michié Démon ; bon dgié béni vou. » La folle s’en alla en dodinant ses poupées, et en chantant la vieille romance de Saint-Domingue :

 
« Lisett’ to kité la plaine,
« Mo perdi bonhair à moué ;
« Ziés à moué semblé fontaine,
« Dépi mo pa miré toué.
« Jour là can mo coupé canne.
« Mo chongé zamour à moué ;
« Lanouitt’ can mo dan cabane,
« Dan droumi mo tchombo toué. »