Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/233

Cette page n’a pas encore été corrigée

garçon en descendit, et après lui une dame vêtue d’un élégant costume de voyage. Les inconnus, après avoir échangé quelques mots avec le cocher, s’avancèrent dans l’avenue. Pélasge se leva, pour s’éloigner par un chemin de traverse. Mais la dame, de loin, ouvrit les bras et les tendit vers lui comme pour lui dire :

« Je vous en prie, restez. »

Pélasge s’arrêta. Sur un signe de la dame, l’adolescent qui l’accompagnait resta derrière. À mesure que l’inconnue approchait, l’étonnement s’accentuait davantage sur les traits de Pélasge. Quand elle fut à quelques pas de lui, il poussa un grand cri et courut à elle en disant :

« Nogolka ! »

En effet, c’était Nogolka. Pélasge l’enveloppa de ses bras, et après l’avoir serrée sur son cœur :

« Vous ici ? demanda-t-il.

« Oui, répondit Nogolka, je viens vous chercher. Nous ne voulons pas, mon mari et moi, que vous vous éteigniez inutilement dans cette solitude. Oh ! comme tout est triste ici. C’est effroyable. Est-ce bien ici que fut le brillant domaine où nous nous sommes connus ? on se croirait dans un cimetière abandonné. Pélasge, votre place n’est plus ici. Vous avez donné assez de votre âme au passé ; l’avenir vous réclame. Un homme de votre valeur ne s’appartient pas ; la cause de la civilisation et de la liberté lui impose des devoirs, auxquels il ne saurait se soustraire sans mériter les reproches des gens de cœur. Dziliwieff vous attend, c’est lui qui m’envoie. Pélasge, votre mission vous rappelle en Europe. C’est là que se livre la grande bataille entre l’esprit du passé et l’esprit nouveau. L’Amérique est maîtresse de son sort ; elle n’a plus qu’à tirer le meilleur parti possible de son libre arbitre. L’Europe en est encore à se débattre contre les ennemis des droits de l’homme, ces mêmes droits pour lesquels vous répandiez votre sang, à la fleur de votre jeunesse, sur les barricades de Paris. Il y a encore, là-bas, des familles qui croient, ou plutôt qui voudraient faire croire qu’elles ont été créées tout exprès pour conduire les peuples, de même