Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/230

Cette page n’a pas encore été corrigée

CHAPITRE LI

On peut mourir plusieurs fois



Un matin, Dziliwieff revenant d’une promenade au bord du lac, entrait dans la chambre de sa femme, au moment où elle finissait de lire la dernière lettre de Pélasge. Il la trouva tout en larmes. Il lui demanda avec empressement quelle était la cause de son chagrin. Elle lui tendit la lettre, et dit en secouant tristement la tête :

« Pélasge est tombé dans le désespoir ; il en mourra. »

Le comte prit la lettre, lut très attentivement, et répondit avec le plus grand sang-froid :

« Vous vous trompez, chère amie, il ne mourra pas ; il est mort.

« Mort ! s’écria Nogolka avec angoisse.

« Oui, mort, oh ! bien mort cette fois, continua Dziliwieff comme se parlant à lui-même ; mort pour tout de bon. »

Puis, s’exaltant et secouant la lettre en l’air comme un drapeau victorieux :

« Mort en Amérique, s’écria-t-il, pour renaître en Europe. Mort aux rêves de bonheur, il va revivre pour le devoir. Il m’appartient ; je vais le tirer du tombeau, j’en fais un soldat de la liberté des peuples. »

Nogolka regardait Dziliwieff avec un mélange d’étonnement, de douleur et d’admiration.

« Enfin la poire est mûre, dit le vieillard en se frottant les mains ; nous allons la cueillir. »

Il se mit à marcher d’un pas rapide, toujours se frottant les mains.