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en frissonnant et en portant la main à son cœur comme s’il y avait reçu un coup mortel ; le dôme du vénérable chêne avait disparu ; au milieu du vide fait dans l’espace, son tronc colossal, dépouillé de toutes ses branches, se dressait comme une colonne funéraire.

Pélasge, la poitrine oppressée, traversa la savane d’un pas mal assuré. Un spectacle désolant l’attendait. L’orage, en tourbillonnant, avait déraciné tous les arbres de la chênière ; la foudre avait dispersé de tous côtés les rameaux gigantesques du vieux sachem. Le tombeau des Saint-Ybars, écrasé et enfoncé dans la terre, avait entièrement disparu sous un monceau de bois et de feuilles. Des branches, grosses comme des troncs de grandes arbres, étaient jetées pêle-mêle sur les fosses de Vieumaite, de Démon, de Blanchette et de Mamrie. Dans d’autres endroits, le sol était couvert de fragments plus ou moins menus. Ça et là le bois, littéralement réduit en poussière, s’était amoncelé en buttes jaunâtres. On ne voyait pas trace des cyprès de l’enceinte. Des tas de feuilles roussies tranchaient au loin sur le fond vert de la plaine. Les planches du cabanage des Indiens absents, avaient été enlevées comme des brins de paille et jetées hors de la portée de la vue.

Pélasge rentra, la mort dans l’âme. Il se fit, dans son être moral, un vide semblable à celui que le vieux sachem, en disparaissant, avait laissé dans l’espace. Il perdit le goût de l’étude. Un mal qu’il n’avait jamais connu, mal horrible pour un caractère comme le sien, s’abattit sur lui ; c’était l’ennui. Ne s’intéressant plus à rien, il sortait et marchait sans but, à pas lents et irréguliers, d’un air fatigué, comme s’il eût porté une montagne sur ses épaules. Il n’écrivait plus. Nogolka, inquiète de son silence, lui adressa plusieurs lettres coup sur coup. Pélasge rassembla à grand’peine les derniers restes de son courage, et il écrivit une longue lettre à son amie.