Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/217

Cette page n’a pas encore été corrigée

qui avait appartenu aux Saint-Ybars, et qui maintenant vendait de la mercerie. C’était une jolie fille, travailleuse et sage, mais trop confiante. Elle s’était laissé prendre aux belles promesses de M. de Lauzun ; il lui avait juré de l’épouser, mais il ne se pressait pas. Il doublait son rôle de politicien de celui de Don Juan. Livia (ainsi se nommait la jeune mulâtresse) avait appris de plusieurs autres jeunes filles que M. le duc les avait trompées en leur faisant le même serment qu’à elle. Elle avait pris avec elle-même l’engagement de se venger. En ce moment, elle ne se doutait pas qu’en causant avec Mamrie, elle préparait à M. de Lauzun un châtiment terrible. Il avait eu l’imprudence, dans sa fatuité, de se glorifier auprès d’elle du stratagème par lequel il avait jadis surpris le secret de Titia ; il avait été jusqu’à lui dire que c’était à son instigation que M. Héhé avait fait lire à Mlle Pulchérie la lettre volée à Lagniape. Haïssant Démon, il croyait lui avoir joué un bon tour en révélant au monde l’origine de Blanchette. Livia avait toujours eu confiance en Mamrie ; elle lui raconta tout.

Le hasard, comme on l’a dit souvent, est le plus puissant des dramaturges ; quand il prépare une tragédie, rien n’y manque.

Un peu avant sept heures, M. de Lauzun s’était rendu à la ferme, ayant besoin de voir Pélasge pour affaires. On lui apprit que Pélasge était allé voir Mlle Blanchette, qui partait avec la tante de Démon, et que, s’il voulait le rencontrer, il n’avait pas de temps à perdre.

Livia causait encore avec Mamrie, lorsqu’elle vit venir M. de Lauzun. Il les aborda familièrement, et leur demanda, sans même ôter son cigare de sa bouche, si Pélasge était là. Mamrie répondit qu’il était au salon. M. le duc, en traversant la cour, envoya du bout des doigts un baiser à Livia, comme pour se moquer d’elle. Lorsqu’il entra dans la maison, il jeta son cigare et prit un air respectueux. Le chapeau à la main, il s’arrêta sur le seuil du salon et demanda poliment s’il pouvait entrer. Il craignait Pélasge ; il connaissait ses opinions libérales, mais