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petit flacon qu’il posa sur la table. Sur l’étiquette du flacon étaient gravés en noir, selon l’usage, une tête de mort et ces mots : STRYCHNINE ― POISON. Il prit ensuite son revolver chargé, et le posa aussi sur la table. Il s’assit dans son fauteuil, et s’accouda. Après avoir réfléchit, il écarta le revolver en disant :

« Non, pas de bruit.

Il prit le flacon :

« Ceci, dit-il, agit presque aussi vite qu’une arme à feu ; deux ou trois secousses, et c’est fait ; le tout en silence. »

Il savait ce qu’il fallait de strychnine pour tuer un homme. Il en mit dans un verre un peu plus que la quantité voulue, et versa dessus quelques gouttes d’acide chlorhydrique pour en faciliter la dissolution ; puis, il ajouta de l’eau sucrée. Cela fait, il alla à l’une des fenêtres qui regardaient du côté de l’ancienne maison où il était né. Il promena un regard d’adieu sur la campagne et le ciel. Ses yeux s’arrêtèrent sur le vieux sachem.

« Tu m’attends, dit-il, mon bon vieux sachem que j’ai tant aimé ! me voici ; je vais dormir dans ton ombre tranquille, à côté de mes aïeux, de ma mère et de Chant-d’Oisel. »

Comme il allait quitter la fenêtre, il aperçut, au-dessus des ruines de la maison paternelle, un petit nuage blanc qui montait dans l’azur en décroissant rapidement. Il vit une image de sa destinée dans cette vapeur matinale, qui, à peine formée, allait disparaître. Au moment où elle s’évanouissait, il la salua de la main et dit :

« Adieu. »

Il revint à son fauteuil, s’assit, prit le verre et but. ―

Tout était tranquille dans la maison et dans la cour. La tante de Démon et ses cousines se levaient ; Mlle Georgine chantait à demi-voix la cavatine de Rosine du Barbier de Séville : c’était son habitude, elle chantait toujours en se levant et en s’habillant.

Mamrie, assise devant la cuisine, en plein air, nettoyait les couteaux ; tout en les frottant sur sa planche couverte de brique pilée, elle causait avec une jeune mulâtresse