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croître son propre chagrin. Démon ne sortait plus ; il ne descendait de sa chambre qu’aux heures des repas ; encore, fallait-il agiter la sonnette deux ou trois fois pour le décider à venir. À table, il parlait à peine. Au milieu des repas, il se levait et montait. Il ne semblait trouver quelque soulagement que dans la compagnie de ses sombres pensées. Il occupait l’ancienne chambre à coucher de son grand-père, au premier étage. Cette pièce communiquait avec la tourelle, au sommet de laquelle était l’observatoire. Les deux extrémités s’ouvraient l’une sur le laboratoire de chimie, l’autre sur le cabinet de physique. Un large corridor passait devant ces pièces, les séparant de la bibliothèque qui comprenait tout un côté de l’étage. Au midi, le corridor aboutissait à un balcon d’où l’on voyait le fleuve ; au nord, il s’ouvrait sur une galerie du haut de laquelle le regard embrassait les champs, et, à droite, le dôme sévère et imposant du vieux sachem.

Comme le premier, le rez-de-chaussée se composait de deux séries de pièces séparées par un corridor : d’un côté étaient le salon, la salle à manger, l’office ; de l’autre des chambres à coucher dont celle du milieu, où couchait Blanchette, était située au-dessous de celle de Démon.

De sa chambre Blanchette entendait Démon marcher dans la sienne. Il veillait tard, allait et venait d’un pas régulier comme quelqu’un qui réfléchit en se promenant ; parfois il s’arrêtait brusquement, et restait longtemps à la même place. Il se couchait et se relevait plusieurs fois, rallumait sa lampe et lisait ou écrivait. Dans le silence de la nuit, Blanchette entendait les feuillets de son livre qu’il tournait, ou sa plume qui courait sur le papier ; quelquefois même elle l’entendait soupirer.

Quand, à l’heure des repas, Blanchette voyait Démon descendre, le visage pâle et fatigué, son cœur se brisait ; elle eût voulu le consoler, mais elle n’osait pas parler, tant il avait l’air sombre et peu disposé à s’épancher. Il ressemblait à un étranger égaré dans un pays où rien ne l’intéresse, où tout l’ennuie, et que tourmente le désir de s’en aller. Un immense dégoût de toutes choses s’était emparé