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enfin qui sommes si fiers de nous appeler des hommes, nous sommes les descendants d’une race qui était au moins cousine germaine des singes. Cela vous scandalise ; j’en suis bien fâché pour vous. Quant à moi, cela ne me fait rien du tout. Je n’en suis pas moins ce que je suis, un Saint-Ybars, un fils du dix-neuvième siècle, un homme libre né en Louisiane, en Louisiane où je prétends vivre à ma guise.

« Vous faites un crime à Blanchette d’avoir eu pour mère une esclave. Vous oubliez, chères amies, que nos ancêtres aussi ont été des esclaves. Oui, nous tous qui vivons sous ce ciel béni de l’Amérique, descendants de Français, d’Anglais, d’Espagnols, d’Italiens, d’Allemands, de Portugais, de Suisses, de Suédois, etc., tous nous sommes les petits fils de malheureux qui ont traversé de longs siècles, le front courbé sous le poids de la servitude. Il fut un temps maudit où la force était le droit ; alors, les peuples vivaient de guerre et de rapine ; les vaincus étaient chargés de chaînes et condamnés à travailler pour les vainqueurs. Comme on était tour à tour vainqueur ou vaincu, l’esclavage s’est promené partout, semblable à ces sinistres épidémies qui ne s’éloignent d’un pays que pour en envahir un autre. Il suit de là rigoureusement qu’il n’est personne qui ne compte des esclaves parmi ses ascendants.

« Et ne croyez pas, très chères cousines, qu’il soit nécessaire de remonter bien haut dans l’histoire, pour rencontrer nos ancêtres portant un collier avec le nom du maître, comme celui que nous mettons à nos chiens. La décence ne me permet pas de vous dire comment les seigneurs traitaient nos aïeules, à l’âge où elles étaient fraîches et jolies. En sommes-nous, vous et moi, moins respectables, moins libres ? non, sans doute. Or, je dis que Blanchette est aussi blanche que la plus blanche des blanches ; je dis qu’elle a reçu l’éducation que l’on donne aux jeunes filles des meilleures familles, et enfin que je l’aime. Donc, je l’épouserai. Si vous êtes venues ici exprès pour m’en dissuader, vous pouvez considérer votre mission comme terminée. »