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mais particulièrement sur Démon. Pour consoler son parrain, elle résolut d’avoir recours à son piano, dès qu’elle pourrait s’y remettre sans blesser les convenances. Elle consulta Pélasge ; sur ce qu’il lui répondit, elle pensa qu’elle pouvait reprendre sa musique. En effet, le piano n’était pas pour elle une simple affaire d’agrément ; Chant-d’Oisel l’avait habituée à le considérer comme un gagne-pain, en cas de nécessité. Blanchette, malgré sa gaîté d’enfant et ses airs de petite folle, était une jeune fille laborieuse qui savait, au besoin, parler raison aussi bien que les personnes les plus sérieuses parmi celles de son âge. Elle avait toujours eu une facilité étonnante à apprendre, et une mémoire vraiment merveilleuse ; elle jouait tout par cœur, même les sonates les plus difficiles et les plus longues. Elle demanda gracieusement à son parrain la permission de reprendre ses études. Il y avait six semaines que Mme Saint-Ybars était morte. Démon consentit à la demande de Blanchette. La première fois qu’il l’entendit, il fut aussi surpris que charmé ; il n’en revenait pas ; il dit à Pélasge :

« Savez-vous que Blanchette est une jeune personne extraordinaire ? quelle facilité et quelle netteté ! elle tire de son piano un volume de son vraiment étonnant, et elle a autant d’expression qu’une femme de trente ans. Voyez-vous cela ! elle interprète Weber et Beethoven comme si elle avait composé leur musique. Je n’ai rien entendu de pareil à Paris ; je fréquentais pourtant beaucoup les concerts. »

Toutes les fois que Blanchette s’asseyait à son piano, elle était sûre de voir Démon entrer dans le salon. Alors, sous prétexte de lui faire entendre des œuvres allemandes, hongroises ou russes qu’il ne connaissait pas, elle jouait des morceaux appropriés à l’état de son esprit. Peu à peu la tristesse de Démon faisait place à une douce rêverie ; une disposition à s’épancher s’emparait de lui. Blanchette allait à lui, et prenant son bras :

« Parrain, disait-elle, voulez-vous que nous fassions une promenade ? j’ai bien envie de respirer le grand air. »