Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/175

Cette page n’a pas encore été corrigée

« Nous traversons une phase difficile, répondit Pélasge ; la guerre nous a laissé à résoudre un problème, d’autant plus embarrassant qu’il nous prend à l’improviste ; je parle de la réorganisation du travail. Peut-être en viendrait-on à bout, sans les complications de la politique. Malheureusement des aventuriers, accourus en foule du Nord, se sont constitués les tuteurs des affranchis, et ont fait alliance avec les gens de couleur. Vous n’avez pas oublié, je pense, ce que l’on entend ici par gens de couleur. Arbitres naturels entre les blancs et les noirs, beaucoup d’entre eux étaient libres avant la guerre, jouissant d’une certaine fortune, éclairés, représentant un chiffre important de familles honorables. Dans leur conviction ils forment, à l’égard du noir, une aristocratie. Ils n’ont pas tort en cela, si l’aristocratie consiste à être plus aisé et plus instruit que la masse, à avoir des mœurs plus régulières et plus raffinées qu’elle. Ils tendent, par un mouvement instinctif, à se rapprocher des blancs. On pourrait, à l’aide de quelques concessions peu coûteuses, s’assurer leurs sympathies et leur coopération pour reconstruire le travail en Louisiane. Car enfin, que demandent-ils ? simplement ce qu’ils appellent l’égalité publique, c’est-à-dire leur place à côté des blancs au théâtre, au concert, au restaurant, dans les bateaux à vapeur, etc. Quant à l’égalité sociale proprement dite, ou en d’autres termes, pour ce qui concerne les relations de la vie intérieure, ils sont les premiers à reconnaître que c’est là une affaire de conscience et de goût, dans laquelle tous doivent respecter religieusement, d’un côté comme de l’autre, le libre arbitre de chacun.

« La population blanche veut reprendre son ancienne suprématie dans les affaires de l’État ; les gens de couleur et les nègres, conseillés par leurs alliés du Nord, la lui disputent. Il en résulte de violentes animosités, des rixes sanglantes, des combats dans lesquels le nombre des tués est toujours plus grand parmi les nègres. En un mot, nous sommes menacés d’une nouvelle guerre civile compliquée d’une guerre sociale.