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cris de Mamrie qui lui disait de ne pas l’abandonner. Démon ouvrit les bras pour la recevoir ; elle s’y jeta en criant : « Parrain ! Parrain ! » et elle couvrit ses lèvres de baisers.

Mamrie s’avançait et agitait ses bras, comme quelqu’un qui cherche dans l’obscurité.

« Démon, mo cher piti, criait-elle, coté to yé ? »

Elle sentit tout à coup deux bras vigoureux l’envelopper et la serrer. Revenue de sa première émotion, elle promena ses mains sur la tête de Démon, sur ses épaules et ses bras.

« To ain bel homme asteur, » dit-elle.

Revenant à son visage, elle toucha sa barbe, ses tempes, son front. Entre les sourcils, ses doigts rencontrèrent une saillie plus dure que le reste de sa peau ; c’était la cicatrice, elle montait et se perdait insensiblement au milieu du front. Elle rappelait une bien triste journée. Mamrie soupira. Démon dit :

« Mamrie, pourquoi penser à cela ? laisse, il y a des souvenirs qu’il ne faut jamais remuer ; ils sont comme les morts qu’on doit laisser dormir tranquillement.

« Ça cé bien vrai, répondit Mamrie ; tan pacé gardé so chagrin ; tan prézan gagnin acé comme ça avé so kenne. Mo fi, ta trouvé tou bien changé. Mé mo pa changé, moin ; ta trouvé même Mamrie to té linmin dans tan lé zote foi. To linmin li toujour, èce pa !

« Si je t’aime toujours ! dit Démon, en la pressant de nouveau sur son cœur ; plus que jamais, bonne Mamrie. Tu nous as nourris de ton lait, Chant-d’Oisel et moi ; tu as veillé sur notre enfance avec une tendresse de mère ; tu es restée esclave, quand tu pouvais être libre, pour être toujours près de nous. Quand le malheur et la ruine sont venus fondre sur ma famille, tu ne t’es pas éloignée d’elle. Tu pouvais, après l’abolition de l’esclavage, gagner ta vie en travaillant où bon t’aurait semblé, et avoir du temps de reste. Tu as préféré partager la gêne et les souffrances de ma mère et de Chant-d’Oisel. Tu ne t’en es séparée qu’à cause de moi ; tu m’as donné ton temps et ta peine ;