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Héhé ; l’autre est le jeune quarteron que votre père gâtait tant, et que votre grand-père avait surnommé M. le duc de Lauzun. Je crois vous avoir dit, dans une de mes lettres, que leur premier acte, à l’arrivée des Fédéraux, avait été de se jeter à leurs pieds. On les soupçonne d’avoir dénoncé votre père. Ils ne vous ont pas reconnu ; autrement, ils seraient venus à vous, croyant vous faire beaucoup d’honneur ; car, aujourd’hui, ce sont de grands personnages politiques. Lorsqu’ils sauront qui vous êtes, ils viendront certainement vous voir, quand ce ne serait que pour étaler leur importance à vos yeux. Ce sont deux hommes dangereux, surtout M. de Lauzun ; il est haineux et vindicatif. De superstitieux qu’il était, il est devenu sceptique et ergoteur ; il se vante même de ses vices et de ses accrocs à la probité. Comme vous voyez, il a prospéré : il porte trois épinglettes à sa chemise ; il a une montre et une chaîne en or, trois ou quatre bagues à chaque main, une canne à pomme d’or ; et voyez avec quelle désinvolture il fume son cigare de la Havane. Il vient ici en tournée politique. Il parle avec facilité. Tout ce qui sort de sa bouche est article de foi pour les nègres. Lui, comme tous les politiciens, il n’a qu’une chose en vue, attraper de l’argent. Il n’est ni estimé ni aimé même des gens de sa classe ; mais on le recherche, parce-qu’il procure des places à ses flatteurs.

« Quant à M. Héhé, c’est toujours le gros pédant, égoïste et gourmand, que vous avez connu. Il a tripoté avec les officiers fédéraux, il tripote avec M. de Lauzun. Il est riche. Il parle de se retirer. On assure qu’il va se fixer à Paris, où il espère faire figure dans la colonie américaine. »

Pélasge et Démon, tout en causant, étaient entrés dans la grande avenue. La charrette dans laquelle les malles de Démon avaient été placées, suivit la voie publique.

Démon eut un serrement de cœur, en voyant partout autour de lui des traces d’abandon et de désordre, et en songeant que cette terre sur laquelle il marchait était séquestrée. Heureusement, Blanchette et Mamrie vinrent changer le cours de ses idées. Du plus loin que Blanchette le vit avec Pélasge, elle se prit à courir, sans entendre les