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Depuis que Mamrie était aveugle, sa physionomie avait changé ; une douce tristesse en avait remplacé l’ancienne gaîté. Quand elle levait ses yeux, comme pour chercher la lumière, elle éprouvait une sensation agréable si le temps était beau ; ses ténèbres se changeaient en une nuit rouge, dans laquelle les gros objets s’estompaient vaguement comme des ombres fuyantes.

En traversant la plaine, Mamrie roula en l’air ses grands yeux toujours expressifs, et dit :

« Pa gagnin nuage bon matin.

« Cé vrai, répondit Blanchette, fé ain tan superbe pou parrain rivé.

« Ataune, reprit Mamrie, kichoge apé pacé dans ciel comme ain gran riban noir : ki ci ça ?

« Çé ain band zozo sauvage, répondit Blanchette.

« Çé signe liver pa loin, remarqua Mamrie ; mo contan pou Démon ; li linmin tan frette plice pacé tan cho. »

Elles passèrent devant les ruines de la maison, et entrèrent dans la grande avenue qui conduisait au fleuve. Le ronflement lointain du bateau s’entendait. Mamrie et Blanchette, par moments, avançaient avec peine ; le chemin était encombré de bois mort ; dans certains endroits, des chênes déracinés barraient le passage, il fallait faire un demi-tour.

À l’arrivée du bateau, Pélasge reconnut immédiatement Démon parmi les dix ou douze passagers qui débarquèrent. En voyant s’avancer un grand et beau jeune homme, qui portait la tête haute comme tous les Saint-Ybars, il alla droit à lui. De son côté Démon reconnut son ancien professeur dans l’homme qui venait à sa rencontre, malgré les changements que les années et le chagrin avaient produits dans sa personne. Ils s’embrassèrent comme deux frères.

Deux voyageurs descendus en même temps que Démon, saluèrent Pélasge en passant ; il leur rendit leur salut si froidement, que Démon parut surpris.

« Je vois que vous ne les reconnaissez pas, dit Pélasge. Le plus âgé, le plus gros, est votre ancien précepteur, M.