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chaises. Lagniape faisait des prodiges de vivacité ; elle glissait d’une pièce à une autre avec des mouvements de couleuvre en fuite. Mme Saint-Ybars, ahurie et effrayée, faisait d’incroyables efforts pour comprendre ce qu’on cherchait à lui expliquer. « Oui, disait-elle, j’entends bien : Démon est mon fils ; où est-il ! »

On lui répétait :

« Il arrive aujourd’hui, ce matin, à huit heures.

« Ah ! il est huit heures, murmurait-elle ; déjà ! Mais non ; nous ne sommes pas encore à aujourd’hui, il est encore hier. »

Et elle reprenait son lamentable refrain : « Silence ! repos ! »

Après le café, Pélasge sortit. Il devait d’abord donner un coup d’œil à son magasin ; ensuite, il allait à la rencontre de Démon.

Le bateau s’arrêtait toujours à l’ancien wharf de l’habitation.

Sans perdre une minute, Mamrie et Blanchette se mirent aussi en route. Lagniape fut chargée de veiller sur Mme Saint-Ybars. Blanchette prit par la plaine ; elle gagna le grand chemin, qui jadis traversait les champs de cannes à sucre parallèlement au fleuve. Elle et Mamrie portaient le deuil de Chant-d’Oisel. La couleur du costume de Blanchette faisait ressortir sa peau blanche et rosée. Sa robe noire garnie de crêpe transparente, légère comme un souffle, s’harmonisait admirablement avec son corps délicat et souple. À voir Blanchette, on eût dit que la nature, en la créant, s’était plu à composer le modèle le plus fin et le plus frêle de l’espèce humaine. Elle ressemblait à ces petites libellules qui flottent dans l’air, sans pendre la peine de voler, tant elles sont légères. De ses cheveux dorés et chatoyants, de ses yeux d’azur, de sa petite bouche, de son sourire, se dégageaient des effets de lumière qui rappelaient les pierres précieuses. Elle avait une voix fraîche et argentine ; en parlant elle chantait un peu comme toutes les jeunes Louisianaises, surtout celles de la campagne.