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Lagniape rampa jusqu’au bord du lit. Chant-d’Oisel tendit vers elle sa main droite qui tremblait de faiblesse.

« Lagniape, dit-elle, j’ai toujours été bonne pour vous, n’est-ce pas ? je ne vous ai jamais fait de peine, je crois.

« Non, non, jamais ! » s’écria la vieille en couvrant de baisers la main de Chant-d’Oisel.

Blanchette, étouffant ses sanglots, s’assit et joua l’Adieu de Schubert. On écouta dans un silence religieux. À peine Blanchette avait-elle fini, qu’un moqueur vint se poser sur la fenêtre, près du piano. Il y venait souvent ; il était si familier qu’il mangeait dans la main de Chant-d’Oisel. Elle lui avait même donné un nom, celui d’Ali.

Ali allongea gracieusement son corps et sa tête, comme font les oiseaux quand ils voient quelque chose qui les étonne. Mais, ayant reconnu Chant-d’Oisel, il se prit à chanter à demi-voix ; c’était plutôt un gazouillement, comme si l’oiseau eût craint d’être indiscret en étant trop bruyant.

« Ah ! te voici, toi aussi, lui dit Chant-d’Oisel : tu veux avoir ta part dans mes dernières pensées. C’est juste ; tu m’as tenu compagnie plus d’une fois à mes heures de solitude et de tristesse. Adieu, Ali, adieu. »

Quoique la voix de Chant-d’Oisel ne fût qu’un souffle, Ali entendit son nom ; il s’envola en traversant la chambre, et passa au-dessus du lit pour sortir par la fenêtre du côté du soleil levant. Chant-d’Oisel le suivit dans la lumière rosée du matin. Son regard dirigé en haut, resta fixe. Le passage de la vie à la mort se fit si doucement qu’il fut imperceptible. Mamrie ne la voyant plus respirer, et n’entendant plus battre son cœur, lui dit :

« Adieu, mo piti fie ! cé chagrin é tro travail ki tué toi.

« Oui, dit le juge, Mamrie a raison, Chant-d’Oisel est une victime de plus parmi tant d’autres que cette maudite guerre a entrainées à sa suite. Et quand je pense qu’avec un peu de raison et un simple sacrifice d’argent, on aurait pu s’épargner ce massacre de quatre ans et ses lamentables conséquences ! ah ! vraiment les hommes sont fous, fous et foncièrement féroces. »