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admirée et recherchée par les fils de famille les plus riches. Elle assistait à son mariage : quelle fête ! quel luxe ! que de magnifiques présents prodigués à la mariée !

Lagniape croyait sincèrement qu’elle possédait le don de prophétie. Elle prédisait l’avenir avec une assurance imperturbable ; les uns la croyaient sur parole, les autres l’écoutaient en souriant. Une circonstance favorable à ses prétentions de devineresse, vint augmenter considérablement son autorité auprès des croyants. Elle avait jadis, comme on l’a vu au commencement de ce récit, annoncé en présence de Saint-Ybars, de Chant-d’Oisel, de Pélasge, de Titia et de Fergus le forgeron, que Stoval, le marchand d’esclaves, mourrait sur l’échafaud. Or, Saint-Ybars, un matin, en parcourant la chronique locale d’un journal de la Nouvelle-Orléans, lut que le nommé Stoval, ex-ministre protestant, ex-marchand d’esclaves, condamné à mort pour avoir coupé le cou à sa maîtresse, venait d’être pendu dans la cour de la prison de paroisse. Quand cette nouvelle se répandit sur l’habitation, la personne de Lagniape prit un caractère sacré aux yeux des nègres ; on la salua avec un redoublement de respect, et les vieilles négresses s’appliquèrent plus que jamais à lui donner des témoignages de dévouement.

Stoval était mort repentant et dans un état d’exaltation religieuse. Sur l’initiative du Dr. Deléry, médecin de la ville, une pétition avait été adressée au Gouverneur pour demander une commutation de peine. La réponse arriva le jour même fixé pour l’exécution. Quand le condamné apprit qu’elle était négative, il se mit à chanter des hymnes. Sa voix retentissante et lamentable emplissait la prison, frappant de terreur les prisonniers enfermés dans leurs cellules. Employé comme infirmier, pendant sa détention, il s’était montré zélé et dévoué aux malades. L’auteur de ce récit, remplaçant alors le médecin de la ville, se trouvait tous les jours en rapport avec Stoval ; il acquit, grâce aux confidences de ce malheureux, des renseignements très instructifs sur le développement de ses mauvais penchants.