Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/140

Cette page n’a pas encore été corrigée

l’affranchissement des nègres s’opérait sans violence. Faute de quoi, chacun parmi ceux qui pensaient comme Chant-d’Oisel et lui devait prêcher, dans la sphère de son influence, l’émancipation progressive des esclaves, sans jamais sortir du langage calme prescrit par la raison. Chant-d’Oisel, aimée et respectée de tous, pouvait le faire mieux que personne. Les femmes avaient toujours joué un beau rôle dans les transformations sociales fondées sur la justice. Il n’y avait plus de temps à perdre ; l’institution de l’esclavage, condamnée en principe depuis longtemps, était aux dix-neuvième siècle un anachronisme qui choquait le sentiment public du monde civilisé. Labolitionnismee faisait des pas-de-géant ; il marchait plus rapidement que ne le croyaient les abolitionnistes eux-mêmes. À l’heure présente, lui Pélasge ne conseillerait à personne de placer sa fortune en esclaves ; les nègres étaient désormais de toutes les propriétés la plus précaire. »

Chant-d’Oisel, réconfortée par ces raisons, essuyait ses larmes.

« Eh bien ! je ne pleurerai plus, disait-elle ; c’est honteux ; je parlerai, j’agirai. J’ai le droit de dire ce que je pense. On peut me lyncher, ça m’est égal ; je ne tiens pas à la vie, s’il faut, pour la garder, se condamner à un silence que réprouve ma conscience. »

Blanchette était comme un trait d’union vivant placé entre Pélasge et Chant-d’Oisel ; dans la maison, au jardin, à la promenade dans les champs ou au bord du fleuve, elle était toujours avec eux. Ils s’occupaient de son éducation, ils pensaient à son avenir. Ils lui parlaient toujours le langage de la raison, s’abstenant scrupuleusement de remplir son esprit de contes et de légendes. Blanchette avait un caractère enjoué, une intelligence facile, un cœur tendre et aimant. C’était maintenant une ravissante fillette aux cheveux brillants et dorés, fins et doux au toucher. Toutes ses pensées, toutes ses émotions se lisaient dans l’azur transparent de ses yeux. Sous sa peau blanche et rosée on voyait, pour ainsi dire, circuler la vie dans ses petites veines aux sinuosités gracieuses. Quoiqu’elle se portât