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QUATRE CENT QUARANTE.

voient pas rougi de commettre[1]. Au lieu de protéger cette censure publique, qui bien administrée auroit été le frein le plus puissant du crime & du vice, on condamna tous les écrits à passer par un crible ; mais le crible étoit si étroit, si serré, que souvent les meilleurs traits étoient perdus : les élans du génie étoient subordonnés au ciseau cruel de la médiocrité, qui lui coupoit les aîles sans miséricorde[2].

On se mit à rire autour de moi. Ce devoit, me dit-on, être une chose fort plaisante que de voir des gens gravement occupés à couper une pensée en deux, & à peser des syllabes. Il est bien étonnant que vous ayez produit quelque chose de bon avec de pareilles entraves. Comment danser avec grace & légéreté sous le

  1. Dans un drame intitulé : Les noces d’un fils de roi, un ministre de la justice, scélérat de cour, dit à son valet, en parlant des écrivains philosophes : mon ami, ces gens-là sont pernicieux. On ne peut se permettre la moindre injustice sans qu’ils la remarquent. C’est en vain qu’un masque adroit dérobe notre vrai visage aux regards les plus perçans. Ces hommes, en passant, ont l’air de vous dire : je te connois. — Messieurs les Philosophes, j’espere vous apprendre qu’il est dangereux de connoître un homme de ma sorte : je ne veux pas être connu.
  2. La moitié des censeurs dits royaux, sont des gens qu’on ne peut compter parmi les Littérateurs, même de la derniere classe ; & l’on peut dire d’eux, à la lettre, qu’ils ne savent point lire.