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voit enrichir le jardin potager. La veille de sa mort il a dit : mes enfans, j’approche de l’Être, auteur de tout bien, que j’ai toujours adoré & en qui j’espère : émondez demain vos poiriers, & qu’au coucher du soleil on m’enterre à la tête de mon champ.

« Vous allez l’y placer, enfans qui devez l’imiter ; mais avant d’ensevelir ces cheveux blancs qui de loin imprimoient le respect & attiroient la jeunesse, voyez ses mains honorables, chargées de durillons ; voilà l’auguste empreinte de ses longs travaux » !

Alors l’orateur prit une de ses mains glacées & l’éleva. Elle avoit acquis un double volume sous l’exercice journalier de la béche, & sembloit avoir été invulnérable au piquant des ronces & au tranchant des cailloux.

L’orateur baisa respectueusement cette main vénérable, & chacun suivit son exemple.

Ses enfans le portèrent sur trois javelles de bled, l’enterrèrent, comme il l’avoit désiré, & mirent sur sa tombe, sa serpe, sa béche & le soc d’une charrue.

Ah, m’écriai-je, si les hommes célébrés par Bossuet, Fléchier, Mascaron, Neuville, avoient eu la centième partie des vertus de cet agriculteur, je leur pardonnerois leur éloquence pompeuse & futile.