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telles gentillesses[1]. Ses sœurs n’étoient point maniérées ni muettes ; elles saluèrent avec grace, & se remirent à leurs occupations, l’oreille au guet ; elles ne regardoient point en dessous les moindres gestes que je faisois : mon grand âge & ma voix cassée ne les firent pas même sourire. On ne me fit point de ces vaines simagrées qui sont le contraire de la vraie politesse.

L’appartement de compagnie ne brilloit pas de vingt colifichets fragiles[2] ou de mauvais goût : point de vernis, point de porcelaines, point de magots, point de tristes dorures. En récompense, une tapisserie riante & amie de l’œil, une propreté singulière, quelques estampes achevées, composoient un sallon dont le ton de couleur étoit très gai.

On lia la conversation, mais personne ne fit assaut d’idées[3]. Le maudit esprit, ce

  1. Il est un libertinage d’esprit plus dangereux que celui des sens : c’est aujourd’hui le principal vice qui infecte la jeunesse de la capitale.
  2. Quel misérable luxe que celui des porcelaines ! Un chat, d’un coup de patte, peut faire un dégât pire que le ravage de vingt arpens de terre.
  3. La conversation anime le choc des idées, leur donne un jeu nouveau, développe les trésors de l’entendement, & c’est un des plus grands plaisirs de la vie : c’est aussi celui que je goûte le plus vivement. Mais dans le monde, j’ai remarqué que la conversation, au lieu de fortifier l’ame, de la nourrir, de l’é-