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ment pourroit-on rogner le pain du malheureux à qui il faut un jour entier pour le gagner ? Dans cet autre coffre sont les offrandes volontaires, destinées à d’utiles fondations, comme pour l’exécution des projets

    à la splendeur de votre trône & à la sûreté de votre personne. Vous nous aviez promis en échange de nous procurer l’abondance, de nous faire couler des jours sans allarmes. Qui l’auroit cru, que sous votre gouvernement la joie eût disparu de nos cantons, que nos fêtes se fussent tournées en deuil, que la crainte & l’effroi eussent succédé à la douce confiance ! Autrefois nos campagnes verdoyantes sourioient à nos yeux ; nos champs nous promettoient de payer nos travaux. Aujourd’hui le fruit de nos sueurs passe dans des mains étrangères ; nos hameaux que nous nous plaisions à embellir tombent en ruine : nos vieillards, nos enfans ne savent plus où reposer leurs têtes : nos plaintes se perdent dans les airs, & chaque jour une pauvreté plus extrême succède à celle sous laquelle nous gémissions la veille. À peine nous reste-t-il quelque trait de la figure humaine, & les animaux qui broutent l’herbe, sont, sans doute, moins malheureux que nous.

    Des coups plus sensibles sont venus fondre sur notre tête. L’homme puissant nous méprise & ne nous attribue aucun sentiment d’honneur ; il vient nous troubler sous le chaume, il séduit l’innocence de nos filles, il les enlève ; elles deviennent la proie de l’impudence. En vain implorons-nous le bras qui tient le glaive des loix : il se détourne, il se refuse à notre douleur ; il ne se prête qu’à ceux qui nous oppriment.