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se ? — Pour toute réponse, l’honnête homme qui me conduisoit me prit par la main et me mena dans un carrefour large & spacieux. Là j’apperçus un coffre-fort de la hauteur de douze pieds. Ce coffre étoit soutenu sur quatre roues roulantes : le sommet présentoit une ouverture en forme de tronc, que couvroit contre la pluie un avant-toît

    maigres, & nous & nos enfans nous puiserons de nouvelles forces pour avoir l’honneur de vous servir.

    Les crédules citrons ne trouvèrent pas la requête incivile : ils se laissèrent faire l’imperceptible saignée. Mais qu’arriva-t-il ? Dès que la piquure fut faite une fois, la main de Messieurs les défenseurs les pressura d’abord poliment, mais de jour en jour d’une maniere plus énergique. Ils en vinrent jusqu’à ne pouvoir plus se passer de jus de citron : il leur en falloit à tous leurs repas & dans toutes leurs sauces. Messieurs les régens s’apperçurent que plus on pressoít les citrons, plus ils rendoient. Ceux-là, se voyant saignés abondamment, crurent devoir rappeller les primitives conventions : mais ceux-ci, devenus plus forts, malgré leurs plaintes les mirent dans le pressoir & les foulerent outre mesure ; il ne leur restoit plus enfin que la peau que l’on soumettoit encore aux forces mouvantes du terrible cabestan : bref, ils finirent par se baigner dans le sang des citrons. Cette belle forêt fut bientôt dépeuplée. La race des limons s’anéantit : & leurs tyrans accoutumés à cette boisson rafraîchissante, à force de l’avoir prodiguée, s’en trouverent privés ; ils tomberent malades, & moururent tous de la fievre putride. Ainsi soit-il !