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régner demande une activité, une souplesse d’organes, & je ne sais quelle sensibilité qui s’éteint malheureusement dans l’ame avec les années[1]. D’ailleurs on craint que l’habitude du pouvoir ne fasse naître en son ame cette ambition concentrée qu’on nomme avarice, & qui est la dernière & la plus triste passion que l’homme ait à combattre[2]. L’héritage demeure à la ligne directe, & le monarque septuagénaire sert encore l’État par ses conseils ou par l’exemple de ses vertus passées. Le tems qui s’écoule entre cette reconnoissance publique & le jour de sa majorité est encore soumis à quelques nouvelles épreuves. On lui parle toujours par des images fortes & sensibles. Veut-on lui prouver que les rois ne sont pas faits d’une autre manière que le reste des hommes, qu’ils n’ont pas un cheveu de plus sur la tête, qu’ils leur

  1. Qu’il fera doux quand les ans auront blanchi nos cheveux, de pouvoir nous reposer en nous rappellant des actions d’humanité & de bienfaisance semées dans le cours de notre vie ! Tous, tant que nous sommes, il ne nous restera alors que le sentiment d’avoir été vertueux, ou la honte & le tourment du vice.
  2. La prodigalité est également a redouter. Un jeune prince refuse quelquefois parce qu’il a en lui la valeur de ses refus ; mais le vieillard accorde toujours, car il n’a pas de quoi remplir le vuide de ses graces.