Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/320

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

& que si la nature n’a pas préparé aux hommes un bonheur sans mêlange, c’est au pouvoir heureux dont la nation le rend dépositaire, à faire plus que la nature n’avoit sû faire en leur faveur. Cette noble idée le pénètre, l’échauffe, l’enflamme, il prête le serment entre les mains de son père ; il atteste la cendre sacrée de son aïeul ; il baise le sceptre qu’il doit respecter le premier ; il adore l’Être suprême : on le couronne. Les ordres de l’État le saluent, & le peuple, dans les transports de sa joie, lui crie : ô toi ! qui sors du milieu de nous, qui nous a vus si longtems & de si près, que les prestiges de la grandeur ne te fassent point oublier qui tu es, & qui nous sommes[1].

Il ne peut monter sur le trône qu’à l’âge de vingt-deux ans, parce qu’il est contre le bon sens d’être soumis à un roi enfant. De même, le souverain dépose le sceptre à l’âge de soixante-dix ans, parce que l’art de

  1. Les Grecs & les Romains ont éprouvé des sensations beaucoup plus vives que les nôtres. Une religion toute sensible, des affaires fréquentes qui tenoient au grand intérêt de la république, un appareil imposant, sans être fastueux, les acclamations du peuple, les assemblées de la nation, les harangues publiques, quelle source intarissable de plaisirs ! Il semble, auprès de ces gens-là, que nous ne faisions que languir, & presque que nous ne vivions pas.