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accompli à la lettre, & il n’y eut jamais de prophétie plus certaine.

    d’un monarque ? Voici à peu près le résultat de ce qui s’y dit, ou plutôt de ce qui s’y fait. « Il faut multiplier les impôts de toutes sortes, parce que le prince ne sauroit jamais être assez riche, attendu qu’il est obligé d’entretenir des armées, & les officiers de sa maison, qui doit être absolument très-magnifique. Si le peuple surchargé élève des plaintes, le peuple aura tort, & il faudra le réprimer. On ne sauroit être injuste envers lui, parce que dans le fond il ne possède rien que sous la bonne volonté du prince qui peut lui redemander en tems & lieu ce qu’il a eu la bonté de lui laisser, sur-tout lorsqu’il en a besoin pour l’intérêt ou la splendeur de sa couronne. D’ailleurs il est notoire qu’un peuple qu’on abandonne à l’aisance est moins laborieux & peut devenir insolent. Il faut retrancher à son bonheur pour ajouter à sa soumission. La pauvreté des sujets sera toujours le plus fort rempart du monarque : & moins les particuliers auront de richesses, plus la nation sera obéissante ; une fois pliée au devoir, elle le suivra par habitude, ce qui est la manière la plus sûre d’être obéi. Ce n’est point assez d’être soumise, elle doit croire qu’ici réside l’esprit de sagesse en toute sa plénitude, & se soumettre, par conséquent, sans oser raisonner, à nos décrets émanés de notre certaine science. »

    Si un philosophe ayant accès auprès du prince, s’avançoit au milieu du conseil & disoit au monarque : « Gardez-vous de croire ces sinistres conseillers ; vous êtes environné des ennemis de votre famille. Votre grandeur, votre sûreté sont moins fondées sur votre puissance absolue que sur l’amour de votre peuple. S’il est malheureux, il souhaitera plus ardemment une