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Un artiste, avec lequel je m’instruisis, eut soin de m’informer de tous ces grands changemens. Il me dit que dans le dix-neuvième siécle il se trouva une disette de marbre, de sorte qu’on eut recours à cette multitude ignoble de bustes de financiers, de traitans, de commis : c’étoient autant de blocs tout préparés : on les tailla beaucoup plus avan-

    qui outragent les mœurs honnêtes & le bon-sens, tout aussi respectable qu’elles. On a oublié à l’article des spectacles de parler des sauteurs, des danseurs de corde ; mais peu importe l’ordre dans un ouvrage, pourvu que l’auteur y fasse entrer toutes ses idées. Je ferai comme Montaigne, je me raccrocherai à la moindre occasion : je brave la censure des critiques ; je me flatte du moins de ne point ennuyer comme eux. Pour revenir donc à ces sauteurs, à ces danseurs de corde, si communs & si révoltans, des magistrats humains devroient-ils les tolérer ? Après avoir employé tout leur tems à des exercices aussi étonnans qu’inutiles, ils risquent leur vie en public & apprennent à mille spectateurs que la mort d’un homme n’est que fort peu de chose. Les attitudes de ces voltigeurs sont indécentes & blessent l’œil & le cœur : ils accoutument peut-être des ames non encore formées à ne voir le plaisir que dans ce qui approche du péril, & à penser que l’espece humaine peut entrer dans la matiere de nos divertissemens. On dira que c’est réfléchir sur bien peu de chose : mais j’ai remarqué que ces tristes spectacles influent beaucoup plus sur la multitude que tous les arts qui ont quelque apparence de raison.