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je vous prie, ne me parlez plus de cette maladie épidémique qui attaquoit la pauvre espèce humaine. Hélas ! elle avoit tous les symptômes de la rage & de la folie. Des rois poltrons, du haut de leur trône, l’envoyoient mourir : & le troupeau obéissant, sous la garde d’un seul chien, alloit joyeusement à la boucherie. Comment la guérir dans ces tems d’illusion ? Comment briser le talisman magique ? Un petit bâton, un cordonnet rouge ou bleu, une petite croix d’émail répandoit partout l’esprit de vertige

    ce, par les arts, par tous les nœuds possibles : il n’existe entre nous aucune antipathie naturelle. Pourquoi voulez-vous donc que passé telle borne je sépare ma cause de celle des autres hommes ? Le patriotisme est un fanatisme inventé par les rois, & funeste à l’univers. Car si ma nation étoit trois fois plus petite, j’aurois à haïr trois fois plus de gens ; mes affections dépendroient des limites changeantes des états : dans la même année il faudroit aller porter la flamme chez mon voisin, & me réconcilier avec celui que j’aurois égorgé la veille. Je ne soutiendrois donc au fond que les droits capricieux d’un maître qui voudroit commander mon ame. Non : l’Europe ne doit plus former à mes yeux qu’un vaste état : & le souhait que j’ose faire, c’est qu’elle se réunifie sous une seule & même domination. Tout vu, tout considéré, ce seroit-là un grand avantage : alors je pourrois être patriote. Mais aujourd’hui, qu’est-ce que la liberté moderne ? Elle n’est autre chose (dit un écrivain) que l’héroïsme de l’esclavage.