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L’AN DEUX MILLE

éloignera, je le parierois. Je ferois un autre pari encore, c’est que l’on ne repéte parmi vous avec tant d’afectation le mot sacré d’humanité, que pour s’exempter de remplir les devoirs qu’il renferme[1]. Il y a longtems que vous ne péchez plus par ignorance, ainsi vous ne vous corrigerez jamais. Adieu.


CHAPITRE II.

J’ai sept cents ans.


Il étoit minuit quand mon vieil Anglois se retira. J’étois un peu las : je fermai ma porte & me couchai. Dès que le sommeil se fut étendu sur mes paupières, je rêvai qu’il y avoit des siécles que j’étois endormi,

  1. Malheur à l’écrivain qui flatte son siécle & achève de l’assoupir, qui le berce de l’histoire de ses héros antiques & des vertus qu’il n’a plus, pallie le mal qui le mine & le dévore, & tel qu’un charlatan adroit & courtisan lui insinue qu’il porte un front rayonnant de santé, tandis que la gangrene va opérer la dissolution de ses membres. L’écrivain courageux ne profère point ce dangereux mensonge ; il s’écrie ; ô mes concitoyens ! non, vous ne ressemblez pas à vos pères : vous êtes polis & cruels, vous n’avez que les aparences de l’humanité ; lâches & fourbes, vous n’avez pas même le courage des grands forfaits, vos crimes sont petits, comme vous.