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contrainte et la dissimulation, soient confondus ; n’ont-ils pas toujours auprès d’eux ces orateurs muets, indépendans, intrépides, qui peuvent les instruire sans les offenser, & qui n’ont auprès de leur trône ni faveurs à obtenir ni disgrace à craindre[1] ?

Nous devons rendre justice à ces nobles écrivains, c’est qu’il n’est point d’état parmi les hommes qui ait mieux rempli sa destination. Les uns ont foudroyé la superstition, les autres ont soutenu les droits des peuples ; ceux-ci ont creusé la mine féconde de la morale, ceux-là ont montré la vertu sous les traits d’une indulgente sensibilité[2]. Nous

  1. J’ai lu une excellente tragédie d’Eschyle, c’est son Promethée : l’allégorie est belle & claire ; c’est l’homme de génie qui accable un despote. Pour avoir éclairé les humains, pour leur avoir porté le feu céleste, il est attaché au sommet d’un rocher ; brûlé lentement par les rayons du soleil, son corps change de couleur : les nymphes des bois, des campagnes, l’entourent en gémissant, le plaignent & ne peuvent le soulager. La furie lui met des fers aux pieds qui pénètrent jusques dans les chairs : mais au milieu de ses tourmens le remords d’avoir été vertueux ne peut entrer dans son cœur.
  2. Quelle récompense pour un auteur, ami du bien & de la vérité, lorsqu’en lisant son livre on laisse tomber dessus une larme brûlante, lorsqu’il attire du fond du cœur un profond soupir, & que refermant le livre pour quelques momens on lève les yeux vers le ciel en formant des résolutions vertueuses. Voilà sans doute le plus beau salaire qu’il