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primé de mon tems en vingt-deux volumes in quarto ? — Tout a disparu, me répondit-on. — Quoi ! cet aigle, qui planoit dans la haute région des airs, ce génie… — En conscience, que pouvions-nous conserver ? Il avoit du génie, d’accord[1] ; mais il en a fait un pitoyable usage. Nous avons adopté la maxime de Montaigne : il ne faut pas s’enquérir quel est le plus savant, mais quel est le mieux savant. L’histoire universelle de ce Bossuet n’étoit qu’un pauvre squelette chronologique[2], sans vie & sans couleur ; puis il avoit donné un tour si forcé, si extraordinaire aux longues réflexions qui accompagnoient cette maigre production, que

  1. Quels services n’auraient pas pu rendre à la raison humaine des hommes tels que Luther, Calvin, Melanchton, Érasme, Bossuet, Pascal, Arnaud, Nicole, &c. s’ils eussent employé leur génie à attaquer les erreurs de l’esprit humain, à perfectionner la morale, la législation, la physique, au lieu de combattre ou d’établir quelques dogmes ridicules ?
  2. Pour donner un air de vérité à la chronologie, on a formé des époques, & c’est sur ce fondement illusoire qu’on a élevé l’édifice de cette science imaginaire. Elle a été entiérement livrée au caprice. On ne sait à quel tems rapporter les principales révolutions du globe, & l’on veut assigner dans quel siécle tel Roi a vecu. La somme des erreurs repose à son aise a l’aide même des calculs chronologiques ; on part, par exemple, de la fondation de Rome, & cette fondation est appuyée sur des probabilités ou plutôt sur des suppositions.