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avoit brûlé Lucrece, à l’exception de quelques morceaux poétiques, parce que sa physique est fausse & que sa morale est dangereuse. On avoit supprimé les longs plaidoyers de Cicéron, habile rhéteur plutôt qu’homme éloquent ; mais on avoit conservé ses ouvrages philosophiques, un des morceaux les plus précieux de l’antiquité. Saluste étoit resté. Ovide & Horace[1] avoient été purgés : les odes du dernier paroissoient bien inférieures à ses épitres. Sénéque étoit réduit à un quart. Tacite avoit été conservé ; mais comme il règne dans ses écrits une teinte sombre qui montre l’humanité en noir, & qu’il faut n’avoir pas une mauvaise idée de la nature humaine, parce que ses tyrans ne sont pas elle, on ne permettoit la lecture de cet auteur profond qu’à des cœurs bien faits. Catulle avoit disparu, ainsi que Petrone. Quintilien étoit d’un volume fort mince.

La troisième armoire contenoit les livres anglois. C’étoit celle qui renfermoit le plus de volumes. On y rencontroit tous les

  1. Cet écrivain a toute la délicatesse, toute la fleur d’esprit, toute l’urbanité possible, mais il a été trop admiré dans tous les siécles. Sa Muse inspire un repos voluptueux, un sommeil léthargique, une indifférence douce & dangereuse ; elle doit plaire aux courtisans & à toutes ces ames efféminées dont toute la morale se borne à ne voir que le présent & à ne chérir que des jouissances solitaires.