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sur des ames sensibles[1]. Le génie a frappé les coups les plus étonnans, sans effort, sans violence. C’est entre les mains des grands poëtes que résident pour ainsi dire les cœurs de leurs concitoyens : ils les modifient à leur gré. Qu’ils sont coupables, lorsqu’ils produisent des maximes dangereuses ! Mais que notre plus vive reconnoissance devient bornée lorsqu’ils frappent le vice & qu’ils ser-

  1. À la loire & sur les remparts, on donne au peuple des piéces grossières, obscènes, ridicules, tandis qu’il seroit si aisé de lui donner de petits drames honnêtes, instructifs, réjouissans, mis enfin à sa portée. Mais peu importe à ceux qui gouvernent, qu’on empoisonne son corps au cabaret, en lui versant un vin frelaté dans des pintes d’étain, & qu’on corrompe son ame à la foire par des farces misérables. S’il prend au pied de la lettre les leçons de vols qu’il reçoit chez Nicolet, (présentés comme des cours de gentillesse) une potence est bientôt dressée. Il existe même une sentence de police qui condamne expressément le peuple à des parades licencieuses, & qui défend aux histrions des remparts de rien dire de raisonnable sur leurs treteaux ; le tout par considération pour les respectables privilèges des comédiens du roi. C’est dans un siécle policé, c’est en 1767 qu’on a rendu une telle sentence. Quel mépris on fait du pauvre peuple ! comme on néglige son instruction ! comme on craint de faire entrer dans son ame quelques traits d’une lumiere pure ! Il est vrai qu’en récompense on épluche avec le plus grand soin les hémistiches qui doivent être récités sur la scène francoise.