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INÈS.

Madame, repoussez un semblable présage.
Eh quoi ! lorsque fidèle au serment qui l’engage,
Boabdil envers vous esclave de sa foi…

ZORAÏDE.

Oui, son rival sans doute est sauvé pour la loi,
Mais sous ses pas la tombe est-elle bien fermée ?
Je voudrais, dans l’effroi dont je suis alarmée,
Qu’à l’abri des fureurs du sombre Boabdil,
Il eût foulé déjà la terre de l’exil.
Ciel ! devais-je jamais penser qu’en ma souffrance,
Je dusse quelque jour désirer son absence ?
À quel comble d’horreurs, grand Dieu, tu me réduis !

INÈS.

Madame, qu’à mon zèle un conseil soit permis.
Ici, tout vous rappelle une trop chère image ;
Quand vous avez besoin de tout votre courage,
Pourquoi dans ce jardin chaque soir revenir ?
Le jour vous êtes calme et semblez moins souffrir.

ZORAÏDE.

Calme ! par quelle erreur es-tu donc abusée ?
Tu ne sais donc plus lire au fond de ma pensée ?
Moi calme ! quand il faut dévorer ma douleur !
Quand il faut repousser mes larmes vers mon cœur !
Et lorsque, succombant sous le poids qui m’oppresse,
Il faut voir, vils témoins qui me suivent sans cesse,
Des femmes, dont l’œil sec observant tous mes pas,
Me regarde, s’étonne, et ne me comprend pas !
Toi, qui loin du pays où passa ton jeune âge,
Captive, à nos guerriers es tombée en partage,
Chère Inès, au-dessus d’un semblable destin,
Espagnole, un cœur libre est du moins dans ton sein :
Tu conçois ma douleur, mes regrets, ma tristesse.