appris qu’un journal (chose inouïe par le temps qui courait) payait les vers qu’il insérait. M. de Jouy, pensant que cette découverte pourrait être utile à ma fille, s’était empressé de venir l’en prévenir… — Paie-t-on passablement ? demanda Elisa… — 20 sous la ligne, je pense, mademoiselle. — Je ne veux pas laisser échapper l’occasion d’être agréable à M. Alibert, me dit Elisa lorsque nous fûmes seules ; je vais tâcher de faire quelques vers, et nous irons demain les porter à ce journal si exceptionnel… Elle fit donc la jolie petite pièce de la Philosophie qui suit cette note. Le lendemain matin, nous fûmes chez le journaliste. Les vers d’Élisa furent trouvés charmans et reçus sans opposition. On lui dit obligeamment que l’on prendrait tous ceux qu’elle porterait… Et ouvrant aussitôt un tiroir, on lui remit le prix de sa Philosophie… — Qu’est-ce que c’est que ces 28 sous, monsieur ? — C’est le prix de vos vers, mademoiselle… — Vous payez donc la poésie 1 sou la ligne ?… — La vôtre, mademoiselle ; mais celle des autres, nous ne la payons que 2 liards… — Reprenez ce prix qui me blesse, et rendez-moi mes vers ; je n’ai pas de pensées à 2 liards ni à 1 sou… Et déchirant avec humeur sa pièce en mille morceaux, elle la jeta sur le plancher… — Qu’avez-vous fait, mademoiselle ? pourquoi avoir détruit une si jolie chose ?… — C’est que vous l’avez trop abaissée cette jolie chose, monsieur, et que la mort vaut mieux que l’ignominie !… Mais rassurez-vous, elle existe toujours pour moi… elle est là, dit-elle, en montrant son front… J’ai besoin d’argent sans doute, mais pas assez pour ne pouvoir me passer de 28 sous. — Quelque désir que j’aie de faire quelque chose pour la satisfaction des personnes qui m’aiment, me dit Elisa, je sens que je ne le pourrais à pareil prix. Voici la dernière fois que j’offrirai mes pensées. Huit jours après, on vint demander des vers à Élisa pour un journal. Elle donna sa Philosophie, qui reparut, en 1832, dans le Journal des Femmes.