Page:Mercœur - Œuvres complètes, I, 1843.djvu/24

Cette page n’a pas encore été corrigée

timement acquis de parler de ma pauvre enfant, droit consacré par vingt-cinq ans de tendresse, de conseils et de soins, si l’on s’était donné la peine de considérer que je me trouve dans le cas d’un homme qui, ayant fait naufrage, viendrait conter par quel miracle lui et l’un de ses fils échappèrent à la mort ; comment ils vécurent pendant de longues années dans une île déserte où les flots les avaient jetés, et tout ce qu’il souffrit lorsque la mort lui enleva ce fils qui lui était si cher ! Si l’on ne pouvait sans intérêt entendre le récit des infortunes de ce malheureux père, pourquoi me serait-on moins favorable, puisque comme lui, seule aussi, je suis réchappée du naufrage ? Alors, comme lui, seule aussi, je dois pouvoir conter. Ah ! que l’on ne m’envie pas cette douloureuse occupation de me retourner moi-même le poignard dans le cœur, en parlant d’un passé qui me fut un présent si cher ! Mais, hélas ! il n’est que trop vrai, et j’en ai fait la triste expérience, que, quels que soient les malheurs qui pèsent sur vous, rien ne peut vous soustraire à l’envie ; car si, dans le récit de vos infortunes, l’ambitieux voit un gain d’argent, l’égoïste un gain d’amour-propre, ils vous disputent le douloureux privilège de dire comment