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MÉPHISTOPHÉLA

s’irritait de cela. Puis, les poètes, même les plus épris des chimères, précisent, par le mot et l’image, l’idéal, le font comme visible et tangible ; et son inconsciente prédestination, son instinct d’elle ne savait quoi d’impossible peut-être, se trouvait mal à l’aise, ainsi qu’entre des murs, en ces songes trop réels. La musique, avec son mutisme sonore qui a l’air de ne pas pouvoir proférer quelque adorable ou sinistre rêve, qui est toujours sur le point de parler et jamais ne s’exprime, s’accordait mieux à l’âme de Sophie, ignorante de soi-même, et en qui l’exaltation continue était comme le symptôme violent mais vague d’un mal encore latent. Elle aima, d’une sororale passion, la musique, parce qu’il lui sembla tout de suite que celle-ci s’efforçait de dire, sans le dire jamais, ce qu’elle-même sentait et ignorait en soi ; convaincue d’ailleurs que, le sachant, elle le tairait ; et la musique aussi se taisait en mélodieuses réticences. Les arrangements, pour piano, des opéras, et les danses, même les langoureuses valses, — tous ces morceaux que lui faisait étudier une maîtresse de piano en cheveux gris, très ancien accessit d’un Conservatoire de province, — cessèrent bientôt de lui suffire ; elle entra résolument, éperdument dans le songe terrible de Bach et de Beethoven. Six heures durant, chaque