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MÉPHISTOPHÉLA

nuptiale, elle étreignit son amie et la baisa sur les lèvres.

Cela aurait causé quelque scandale si les fidèles n’étaient accoutumés aux désordres nerveux que produit sur quelques enfants l’incarnation divine ; on emporta les deux petites jointes encore, à demi pâmées ; le lendemain, on s’accordait, parmi les dévotes de la ville, à louanger l’excès de ferveur qu’avaient montré en communiant la fille de Mme Luberti et la fille de Mme d’Hermelinge.

Le catéchisme oublié, Sophie, à quatorze ans, s’éprit de poésie et de musique. Elle obligea Emmeline, qui, si languissamment, l’avait suivie vers le paradis où s’éternise la joie des couples angéliques, à venir avec elle, à se perdre, guidée et soutenue pourtant, dans les sublimités de l’épopée et de l’ode. À vrai dire, Sophie ne s’attarda que peu de mois à l’admiration enthousiaste des poèmes. Dans les vers, c’étaient si souvent les maîtresses conquises par le victorieux désir des amants, le baiser triomphant du mâle ; les femmes y apparaissaient comme des cœurs soumis ou des lèvres obéissantes, ne trouvant que dans les coquetteries ou les vaines rébellions des refus la revanche de la tyrannie virile. Sophie, sans savoir pourquoi,