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MÉPHISTOPHÉLA

frisson glacial. Telle était sa lâcheté, — tous ses nerfs, tous ses muscles enfin surmenés, rompus, devenus pareils à des loques, — qu’elle ne pouvait pas affronter, même pendant la seconde d’un geste, l’idée de l’immobilité dans l’ombre, l’idée d’être endormie d’un sommeil qui n’est pas le sommeil, d’être dans du froid, dans du mou, dans du gras, ou plutôt l’idée de ne pas être du tout, de ne pas sentir qu’on fût. Si elle avait espéré l’enfer, elle se serait tuée, parce que l’incessant tourment, ce n’est pas de la mort, ce n’est pas l’obscur, l’infini, l’innommable Rien ! mais elle se révulsait toute à la pensée qu’elle n’aurait plus le sentiment de soi. Mourir, ce n’est pas seulement cesser de vivre, c’est devenir comme si on n’avait jamais vécu. C’est l’abolition, non seulement d’être, mais d’avoir été. Et, à cela, elle ne pouvait se résoudre. Vingt fois elle porta à ses lèvres la fiole mortelle, vingt fois, montée au plus haut étage de son hôtel, elle se pencha dans le vide vers les pavés. Elle n’osait pas ! et dans les affaissements de sa vitalité, elle était hantée par la chimère absurde d’une mort qui serait la mort sans doute, et qui, en même temps, serait un peu, oh ! presque pas, la vie… Puis les nécessités de sa fonction la ressaisissaient, la rejetaient dans