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MÉPHISTOPHÉLA

ses genoux la petite perchée à côté d’Emmeline. Tandis que Mme de Brillac se défendait des caresses de son mari, il allongea les bras, saisit la fillette, l’enleva, la serra contre lui. « Voilà ! je n’avais pas de femme, j’en ai une maintenant, et je veux l’embrasser. » Et il berçait la mignonne, lui faisait des risettes, tandis que les deux aînés, levés de leurs chaises et se cramponnant à ses manches : « Moi aussi, mon oncle, moi aussi, embrasse-moi ! » Tout ce remue-ménage ne prit fin que lorsqu’Emmeline, d’un ton presque sévère, en repoussant son mari d’une main sur la bouche, s’écria : « Allons, vous êtes tous des fous, les grands comme les petits, on ne finira pas de dîner, ce soir. » Justement la servante mettait sur la table une épaule de mouton farcie d’où montait un excitant parfum d’épices ; le réveil de l’appétit produisit une trêve. On se remit à manger. Braves gens, gens heureux. Ils se complaisaient en leur familiale solitude, en leur honnête oisiveté ; c’étaient des cœurs paisibles, des esprits introublés. Depuis bien des jours, certainement, ils n’avaient lu ni un livre ni un journal ; le bruit des grandes villes n’arrivait pas jusqu’à eux. Cela leur était bien égal de n’être que médiocres ; ils ne pensaient pas à cela ; ils