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MÉPHISTOPHÉLA

la maison était-elle vide ? Le baron d’Hermelinge, avec sa sœur et son beau-frère, était-il parti pour quelque voyage ? Ah ! mon Dieu, si son espoir était trompé ! si son amie n’était pas dans cette maison ! Elle fut vite rassurée. Le son d’un piano venait jusqu’à elle. Ce devait être Emmeline qui jouait ; sûrement c’était Emmeline. Sophor reconnut un air de danse. Elle eût préféré entendre une autre musique, plus subtile ou plus violente, mystérieuse, l’une de celles où, dans leur élan vers l’inconnu, jadis, elles mêlaient leurs âmes ! Emmeline avait toujours aimé la musiquette. Elle avait tort. Non, elle ne pouvait pas avoir tort. Il s’accordait à sa nature ingénue, et futile, pas compliquée, pas sublime, ce goût des thèmes simples et vifs, qui troublent peu, qui amusent. Puis, n’importait l’air, puisqu’il s’envolait des doigts d’Emmeline ! Chaque note entrait dans le cœur de Sophor comme une goutte de miel qui s’ouvre et se dilate en flamme ; et le rythme banal la berçait en des bras d’ange, vers le ciel. Une cloche sonna, le piano se tut ; du perron, une forte voix d’homme cria vers une fenêtre du premier étage : « Eh bien ! descends-tu ? Ton mari est déjà à table, tu sais qu’on dîne sous la tonnelle, dépêche-toi, j’ai une faim de loup. » La voix du baron Jean.