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MÉPHISTOPHÉLA

heureuse et apaisée, malgré tant d’impatiences. L’extraordinaire, vraiment, c’était qu’elle fût si longtemps demeurée sans le besoin de la reconquérir, à tout prix. Que d’années perdues, qui auraient été si douces ! Mais il ne fallait songer qu’à l’avenir si beau ; Sophor s’emparadisait en le rêve des délices prochaines, se demandait si elle ne deviendrait pas folle de ravissement, à l’heure où l’unique chérie lui rendrait le parfum pas oublié de ses lèvres.

Tandis que l’ombre montait, rampant entre les bruyères, grimpant aux arbres comme pour aller dénicher dans les branches les lueurs roses du couchant pareilles à des oiseaux de flamme, Sophor revint lentement vers la route, la suivit jusqu’à la façade, en marchant du côté le plus sombre, vêtue d’un impalpable manteau de crépuscule ; et quand elle vit la grille, et la pelouse, au-delà, avec sa corbeille de roses, elle évita de passer devant la maison, longea la haie vers la colline. Elle fit lentement le tour du petit parc. Elle s’arrêtait de temps en temps, se hissait sur la pointe des pieds pour regarder par-dessus les verdures, ou se baissait pour voir par quelque ouverture entre les épines. Personne. Elle continua de marcher. C’était presque la nuit, pas une fenêtre ne s’allumait. L’avait-on trompée ?