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MÉPHISTOPHÉLA

D’abord, je l’avais placé près de mon lit, avec une lampe, pour le voir, tout de suite, la nuit, quand je m’éveillais. Mais c’était de la peinture, ce n’était pas de la vie. Alors j’ai imaginé de le mettre dans un coin de la chambre, de façon qu’il puisse être reflété, très loin, par la glace de la cheminée ; et entre le miroir et le portrait il y a deux rideaux de gaze qui pendent et remuent un peu ; comme cela, à cause de l’espèce de brouillard que font les étoffes dans la pièce pas trop claire, ta ressemblance, c’est presque toi-même ; indécise, trouble, mais réelle, vivante, et, sitôt que j’ouvre les yeux, j’envoie des baisers au reflet de ton image ! Puis, je pense : « Demain, ces baisers, elle me les rendra. » Tu ne me les rends plus. Je les mérite bien pourtant ! Ordonne-moi d’ouvrir cette fenêtre et de me jeter dans la rue, sur les pavés, tu verras si je ne t’obéis pas. Comment c’est arrivé que je sois ainsi, je ne me l’explique pas. Tu me tiens entière. Tout ce que je suis, je te l’ai donné la première fois et je n’ai jamais rien repris. Ainsi, tu n’as aucune raison pour me bouder, pour rester des heures entières sans me parler. Oh ! tu ne peux pas comprendre la désolation que j’ai, quand tu ne t’occupes pas de moi, quand tu as l’air de ne pas savoir que je suis là et que j’attends.