Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
22
MÉPHISTOPHÉLA

leil. Alors (car le royal et miséricordieux Poison verse très vite ses largesses en ceux qui ont coutume de les implorer, ainsi qu’un Dieu s’empresse d’exaucer ses fidèles), c’est l’infini bien-être sans le reproche d’aucun devoir, le dédain de tout ce qui n’est pas la minute actuelle (minute ? éternité peut-être !), la fonte de toutes les amertumes en une doucereuse langueur, l’ignorance d’hier et de demain, la vie arrêtée au plus exquis moment de toujours, la paix, l’oubli, le rien divin. Le visage de la baronne Sophor d’Hermelinge, — rappelant ces singulières fleurs fanées, fripées, loques du printemps mort, qui, trempées dans une mixture, reprennent la splendeur souriante des anciens midis, — s’ouvre, s’épanouit, rayonne béatifiquement. Un long temps, un très long temps, comme non vivante, avec la visible extase d’une défunte qui rêverait du paradis, elle demeure en cette délicieuse inertie… Mais voici qu’elle s’agite, faiblement d’abord, en même temps qu’une expression de gêne déforme le calme de son sourire ; et de ses deux mains, qui s’élèvent et battent l’air, elle voudrait, dirait-on, comme un dormeur, inconsciemment, chasse une mouche, écarter de ses oreilles l’importunité d’un frôlement ou d’un bruit ; sans doute, elle n’y